Accueil A la une Expositions | Retour en ville : le temps est-il venu ?

Expositions | Retour en ville : le temps est-il venu ?

On ne le dira jamais assez : le temps de retourner en ville est venu. La banlieue, devenue haut lieu des arts, c’est bien. La Médina, centre de belles initiatives culturelles, c’est encore mieux. Mais la ville, le centre- ville, qui fut à l’origine de tout avec le théâtre, les premières galeries, les maisons de la culture, le Conservatoire, oublié et déserté par les créateurs, c’était inacceptable. Bien sûr, il y a eu quelques tentatives de résistance. Peu d’entre elles ont pu résister aux mouvements d’exode généralisé.

Depuis quelque temps, quelques initiatives courageuses, intelligentes, bien pensées, bien conçues, laissent espérer que le centre- ville renaisse, retrouve sa place dans le calendrier artistique et culturel, et redevienne attractif.

Le Central vient à vous …

Emna Ben Yedder a suivi un parcours de formation en finance. Elle a exercé au sein de PME, puis dans un groupe familial. Estimant enfin avoir donné ce qu’elle devait, elle décide, à 40 ans, de faire ce qu’elle aimait le plus, c’est-à-dire de se consacrer à l’art.

Mais on pourrait lui demander : pourquoi le centre- ville ?

« Cinq années durant lesquelles j’ai travaillé pour le groupe familial, nos bureaux étaient basés à Montfleury. Un quartier jadis aristocratique. Tunis aujourd’hui change, est défiguré, envahi par les constructions anarchiques. Une certaine esthétique, une culture complexe et riche, un goût subtil se perdaient. Or, l’art fait rêver, et j’ai pensé qu’il fallait faire du militantisme artistique. »

Installée dans un immeuble au 15 de l’avenue de Carthage, Emna ben Yedder se trouvait en un emplacement stratégique pour se lancer dans le militantisme artistique.

« Nous sommes dans un quartier où il n’y a plus de galeries. Or, c’est un lieu accessible, où il y a la possibilité d’attirer facilement les gens. La géographie s’y prête. J’ai eu envie d’y créer une galerie où l’on n’aura pas peur d’entrer, un lieu ouvert, qui proposerait une offre différente, sans compromis sur la qualité artistique, mais de prix accessibles. »

Le 15, ou Central, se définit en ces termes :

Situé au 15 de l’Avenue de Carthage, le Central naît du rêve d’un espace artistique qui puisse retranscrire la complexité, l’émotion et les affres sublimes du cœur vibrant de Tunis. L’idée de Central est d’accroître l’accès à l’Art en appréhendant des sujets complexes, des sujets qui comptent dans une dynamique ludique, accessible et interactive. Tous les trois mois à Central, un thème différent est traité par les artistes, penseurs et créateurs de fun pour vivre ensemble une expérience artistique et humaine. Ce vivre-ensemble a été bien compris. Par un public d’initiés, bien sûr, qui n’a pas renâclé à reprendre le chemin oublié du centre-ville. Mais aussi par un public de passage, heureux qu’on soit venu à lui, curieux de ce qu’on lui propose, et ouvert à toutes les propositions que décline ce lieu.

Le 32 Bis : à l’écoute du quartier

Et puis à quelques encablures à vol d’oiseau, un autre lieu ouvre ses portes : le 32 bis.

Curieux cette humilité qui, dans les deux cas, se fait nommer par une simple adresse !

A l’origine du 32 Bis, le siège et les dépôts d’une entreprise. A l’arrivée une magnifique plateforme d’art contemporain, dont les deux blocs initiaux ont intelligemment été fusionnés par l’intervention de Memia Taktak et de son cabinet Dzeta  pour obtenir des espaces de 4000 mètres carrés étagés sur 4 niveaux, susceptibles de se décliner en lieux d’exposition, en ateliers d’artistes, en résidences, en médiathèque…

Camille Levy est l’âme de ces lieux, et la responsable de sa programmation. Issue d’une famille d’origine tunisienne, vivant à Toulouse, elle aussi ne vient pas du monde de l’art, mais a fait Sciences Po, puis s’est orientée vers les Sciences Sociales. Si elle est venue à Tunis, c’était pour travailler sur un film racontant l’histoire de sa famille. Une histoire fragmentée, pleine de tabous, qu’elle a voulu confronter à la Tunisie d’aujourd’hui. Le film ne s’est pas fait, mais le 32 Bis a été pour Camille une belle rencontre.

«Le 32 Bis est un lieu de création, d’exposition, de partage des savoirs. Il abrite une médiathèque spécialisée en art contemporain, qui propose plusieurs supports, tous axés autour de la programmation du centre. Celui-ci proposera des cours du soir, une université populaire, des formations pluridisciplinaires en photo, peinture, cinéma, marionnettes…

Ouvert à tous les publics, spécialisés ou profanes, doté d’une forte exigence de qualité, il a un mot d’ordre : inclusivité.

Dès le début, nous sommes dans une position d’écoute permanente par rapport aux désirs, aux besoins et à la sensibilité du quartier. Nous ne voulons surtout pas imposer un modèle à un quartier qui a déjà les siens. Nous avons des projets artistiques pour un jeune public, ce qui nous permettra de toucher les familles. Il n’y aura pas seulement des ateliers, mais des projets menés de A à Z qui permettront aux enfants d’exprimer leur imaginaire. Nous proposons également des résidences d’artistes avec pour but de construire des expositions collectives, des dialogues entre artistes tunisiens et internationaux. Nous voulons inviter des artistes connus qui sauront s’imprégner du territoire où on les invite et  produire des œuvres tunisiennes : en un mot créer de vrais dialogues».

Il faut reconnaître que le lieu se prête à toutes les ambitions : 4.000 mètres carrés modulables avec en trame de fond l’idée d’en faire un lieu de vie avec une programmation continue, des projections de films, des conférences, des ateliers, des expositions…. On s’attache à créer des liens avec les gens du quartier, les clients des cafés environnants. Il s’agit là d’une espèce de laboratoire, d’un nouveau mode de réflexion, de création, d’échanges permanents qui réconcilie, quelque part, les gens de la création avec le public.

«Le but étant la relecture du patrimoine, d’une mémoire collective pleine d’embûches et de tabous» conclue Camille Levy.

Alors juste une question pernicieuse pour conclure : est-ce un hasard si les porteurs de ce projet sont des femmes ?

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